SHANNON • comme tout ce qui compte dans la vie, un beau voyage est une oeuvre d'art

S’il jouait avec ses petits frères et sœurs à l’âge avancé de dix ans c’était bel et bien pour faire plaisir à sa sœur adorée. Il ne pouvait rien lui refuser de toute façon. Pour le coup, elle était comme la petite fille de son père gâteau. Mais non, Shannon n’avait que dix ans et Sam, du haut de ses six ans venait d’intégrer la primaire. C’était maintenant une grande, certes, mais il était le plus grand, celui qui la protégeait. Il aurait bien sur pu faire de même avec les deux enfants qui étaient nés entre eux deux mais c’était différent. Oui, simplement différent. Peut-être parce qu’il était trop petit encore quand John et Barbara étaient nés. Oui, peut-être. Qu’importait de toute façon ? Puisque c’était uniquement pour faire plaisir à sa petite sœur chérie qu’il jouait à ce jeu débile. Vraiment débile oui. Et puis c’était encore à lui de jouer. Pff, même pas drôle !

Peut-être que Shannon et ses frères et sœurs procuraient fierté à leur géniteur. Pourquoi pas, après tout ? Mais certainement pas du bonheur, c’était certain aux yeux de Shannon. Son père le pensait surement stupide mais il ne l’était pas. Vraiment pas. Du haut de ses quatorze ans, il avait tout de suite compris que les regards qu’échangeaient Rob Taylor, l’homme le plus puissant de Manhattan et Ronnie Simons, cette effrontée trop vieille pour l’être, n’étaient pas, mais alors absolument pas, innocents. Il fallait d’ailleurs être complètement aveugle pour ne pas le voir. Shannon avait d’ailleurs bien peur que sa mère, cette douce et si discrète femme dans ce monde de requins, soit devenue aveugle depuis bien longtemps. Il aurait voulu la secouer, lui faire comprendre mais il n’avait pas la force de la faire sortir de ses rêves où elle semblait en permanence réfugiée. Sauf quand elle s’occupait d’eux, ses enfants, sa seule raison de vivre.

Et Shannon quitta la pièce en claquant la porte, sa valise à la main. Il embrassa ses frères et sœurs, rassura sa mère en larmes et prit le premier avion qu’il trouva, en direction de Buenos Aires. Il ne revint à New York que deux ans plus tard, pour sa rentrée de terminale qu’il compte achever sans rendre de comptes à son père, à qui il n’a d’ailleurs pas encore parlé.